Troisième collaboration de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha depuis leur premier long métrage Risque de pluie acide (2015) et deuxième coréalisation du couple après Le Pardon (2020), Mon Gâteau préféré, qui sort en salle le 5 février 2025, est précédé d’une réputation flatteuse depuis sa présentation à Berlin en février 2024. Il s’agit pourtant de leur film le plus faible. À côté de sa surmédiatisation et des prix reçus dont il convient de souligner qu’il ne s’agit jamais de premiers prix mais de récompenses secondaires, une question se pose : l’intérêt pour ce film tient-il à ses qualités propres ou au discours qui l’entoure ? En effet, en rappelant à chaque fois l’interdiction faite aux cinéastes de quitter l’Iran, les producteurs, iranien, allemand, suédois et français, insistèrent sans retenue sur la censure dont ils seraient victimes. À l’occasion de sa sortie française, il nous faut nous interroger sur la valeur cinématographique du film autant que sur la manière dont il nous est présenté afin d’éclairer certaines ambiguïtés persistantes.
Larmoyant et poussif
Sous ses apparences d’œuvre célébrant la vie, Mon Gâteau préféré se révèle d’une rare noirceur. On peut être étonné par la conduite du récit si on ne tient pas compte de la censure que le film, loin d’ignorer, semble au contraire respecter d’un bout à l’autre. Rappelons l’histoire : veuve depuis trente ans, Mahin dont les enfants devenus grands vivent désormais à l’étranger, est incitée par ses amies, veuves et célibataires comme elle ou simplement célibataires, à tenter l’aventure d’une rencontre amoureuse dans les rues de Téhéran. Après avoir essuyé deux échecs : d’un client d’une boulangerie qui ne comprend que trop bien ses intentions, et d’un balayeur dans un parc qui ne les saisit pas, Mahin croise dans un restaurant un chauffeur de taxi, Faramarz, qui accepte de la raccompagner chez elle après son service. Ensemble, ils boivent le mathusalem de vin gardé précieusement par Mahin pour une grande occasion qui ne pouvait être que celle-ci. Ils danseront au son des chansons anciennes et prendront une douche tout-habillés ! Si le film s’anime quelque peu dans ces séquences maladroitement burlesques, il reste d’une incroyable lourdeur, mené sur un ton poussif et larmoyant au rythme du pas lent de Mahin. On pourrait se réjouir de ce brusque changement de cadence laissant présager de belles scènes à venir mais cet espoir sera vite déçu.
L’idylle entre Mahin et Faramarz est en effet de courte durée. La consommation de viagra par le chauffeur de taxi lui coûtera la vie. Par cette mort soudaine et opportune au regard de la censure, Mon Gâteau préféré est ramené à la dimension d’un simple court métrage. C’est sans doute là que se situe l’échec principal du film, celui-ci ne parvenant jamais à se déployer. La fin des Graines du figuier sauvage est d’une toute autre ampleur, ouvrant sur l’avenir ! La conclusion de Mon Gâteau préféré est, au contraire, sombre et défaitiste et en ce sens profondément conservatrice. Cette décision de la part des cinéastes de mettre un terme à l’histoire d’amour ne pose aucun problème au régime de la République islamique car sa morale est sauve : « Vous avez voulu vous amuser ? Avoir une aventure passionnée en dehors des lois qui régissent le pays ? Voyez par vous-mêmes le résultat : le remords, la désolation et la tristesse ! » En interdisant le film, le pouvoir fait naître une curiosité envers un objet qui sert sa cause. Les deux réalisateurs l’ignorent-ils ? On restera perplexe sur cet étrange jeu d’annonces qui veut que les autorités aient confisqué le passeport des deux cinéastes en février 2024 pour leur rendre en septembre et leur reprendre aussitôt avant la présentation du film en Suède, fournissant ainsi matière à de nouveaux textes sur la censure de la part de la presse au lieu d’analyser le film et ses défauts manifestes. L’habileté de Mon Gâteau préféré n’est-il pas de se faire passer pour ce qu’il n’est pas ?
Un film courageux ?
On a beaucoup insisté sur le courage dont ferait preuve le long métrage en montrant notamment des femmes sans voile. Il faut ici préciser un point. Ces scènes qui semblent tournées au mépris de la censure sont toutes réalisées en intérieur et concernent des actrices de plus de 70 ans dont aucune n’est professionnelle. Lily Farhadpour qui interprète Mahin est ainsi traductrice et journaliste. Le risque pris par elle, et ses collègues, se limite à ne plus pouvoir tourner dans un film. Ce qui n’était de toute façon pas leur métier. Cette précision montre que les conséquences de leur acte ont été calculées par les interprètes et ne relèvent pas d’une prise de risque inconsidérée. La question du voile obligatoire est abordée dans une séquence où apparaît la police des moeurs. On remarque que l’ensemble des protagonistes féminins dans ce passage gardent leur foulard. Mieux, une des filles aux cheveux roses sous le voile, à qui Mahin demande de descendre du fourgon, préfère y rester comme si elle acceptait son sort. Une adolescente se montrera plus rebelle et échappera à l’arrestation. Le dialogue qui s’amorce entre elle et Mahin, une fois les nervis du régime partis, aurait pu donner lieu à un échange émouvant par son caractère transgénérationnel, mais la jeune fille, trop pressée de retrouver son amoureux venu au rendez-vous, fait ses adieux à la vieille dame, laissant Mahin poursuivre sa quête. Loin de transgresser les « lignes rouges » du régime, le film se montre ainsi conforme aux interdits, se contentant de critiques verbales.
Il est curieux que ce soit cette réalisation sans valeur artistique ni grand engagement politique, si ce n’est d’apparence, qui retienne l’attention des festivaliers et des distributeurs au détriment d’œuvres réellement importantes. Rappelons que Critical Zone d’Ali Ahmadzadeh, Léopard d’or au festival de Locarno en 2023, n’a toujours pas de distributeur en France. Cette situation amène à s’interroger sur la clairvoyance de la critique. En monopolisant en France comme à l’étranger une place qui aurait pu revenir à d’autres films plus en phase avec la réalité de la contestation iranienne, le long métrage de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha aura certainement rempli un de ses rôles : offrir une vision vidée de sa substance de la révolution en cours en Iran au profit d’un petit film roué jouant jusqu’à la corde sur l’apitoiement.
Une sensiblerie destinée à effacer tout esprit critique comme cette lettre lue au festival de Berlin où les réalisateurs se présentent « comme des parents à qui l’on interdit de poser les yeux sur leur nouveau-né ». L’héroïne de 70 ans nous est décrite comme « entrant dans un âge d’or ». Une périphrase qui devient, dans l’entretien reproduit dans le dossier de presse, le disruptif « l’aube de la vieillesse » ! On relèvera enfin qu’à aucun moment, ils ne parlent de « révolution », terme auquel tiennent les Iraniens qui manifestent depuis 2022, mais de « lutte pour le changement social ».
Lors de ce même festival, il y a un an, un journaliste posa une question qui resta sans réponse : « Comment les deux acteurs principaux avaient pu obtenir l’autorisation de voyager jusqu’à Berlin quand les deux cinéastes avaient été interdits de quitter le territoire iranien ? » Bien des questions restent, en effet, sans réponse sur ce long métrage dont le plus étonnant est l’absence totale de réflexion critique sur sa valeur artistique.
La complaisance dont bénéficie Mon Gâteau préféré rappelle à bien des égards celle qui accompagna la sortie en novembre 2024 du livre de Fariba Adelkhah, Prisonnière à Téhéran (Seuil, 2024) dont nous avions souligné les ambiguïtés, rejoints depuis par des écrivains, artistes et universitaires ainsi que des critiques. Espérons qu’il en sera de même pour ce film.
Bamchade Pourvali