Critiques — 4 octobre 2016 at 11 h 24 min

« Le Cercle » (2000) de Jafar Panahi

vlcsnap-2016-10-02-23h14m45s107Lion d’or au Festival de Venise en 2000, Le Cercle marque un tournant dans la carrière de Jafar Panahi déjà récompensé pour ses deux premiers longs métrages, Le Ballon blanc (1995) et Le Miroir (1997). Panahi apparaissait alors comme un disciple d’Abbas Kiarostami, s’intéressant, comme lui, au monde de l’enfance. Le Cercle bouleverse cette vision et contribue au lancement d’un genre nouveau dans le cinéma iranien, celui des films de femmes. En effet, si Panahi avait déjà témoigné de son intérêt pour les personnages féminins, c’est avec Le Cercle que s’affirme sa singularité.

Composé d’une série de portraits, Le Cercle met en scène le destin de six femmes dont on suit la trajectoire par intermittences. Le récit passe ainsi d’une histoire à l’autre abordant différents thèmes avant de refermer sa courbe sur elle-même. À l’image de son titre, le long métrage dessine un cercle qui semble embrasser une vie en commençant dans une maternité et en s’achevant dans une prison.

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En effet, c’est sur un écran noir que commence le film avec les râles d’une femme en train d’accoucher. Une ouverture au blanc précède la première scène qui nous montre une infirmière annonçant à une vieille dame en tchador noir que l’enfant qui vient de naître est une petite fille. La déception est telle sur le visage de la vieille dame qu’elle semble porter le deuil. Cette première scène qui montre la séparation de deux mondes insiste sur les couleurs opposées que sont le noir et le blanc comme pour définir le bon et le mauvais côté de la loi, une séparation que l’on retrouvera plus tard dans le film.

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Un groupe de jeunes filles est à la recherche de leur amie, Pari. L’une d’entre elles, Narges, porte un œil au beurre-noir. Panahi parvient à souligner le contraste entre Arezou, débrouillarde et bagarreuse, et Narges, naïve et distraite, sur qui la caméra s’attarde longuement. Si elle connaît des moments de répit, elle ne cesse toutefois d’être inquiète par la présence des militaires, gardiens de la Révolution et autres bassidjis. Leur présence crée une tension permanente dans le film rappelant à ces femmes qu’elles ne sont pas libres. Cette surveillance se traduit par l’interdiction qui leur est faite de fumer en public. C’est toutefois en présence d’un militaire que Narges sourira à nouveau quand un jeune conscrit acceptera d’essayer la chemise blanche qu’elle projette d’acheter. On ne saura pas s’il s’agit d’un cadeau pour un éventuel fiancé ou d’un souvenir pour avoir vu la même chemise chez un jeune marié. Toujours est-il que le militaire achètera lui aussi ce modèle.

vlcsnap-2016-10-05-16h17m57s138C’est après une descente de bassidjis chez ses parents que nous rencontrons Pari. La jeune femme s’est échappée de prison et cherche à trouver une de ses amies, Élham, devenue infirmière. À l’hôpital, les deux femmes sont séparées par un banc, l’une porte un voile blanc qui fait partie de sa tenue réglementaire, l’autre un voile noire obligatoire. Le mari de Pari a été exécuté et la jeune femme veut avorter. Élham qui a refait sa vie refuse de l’aider. « Tu as beaucoup changé », lui répète Pari. Il est révélateur qu’elle prononce ces mots pour la première fois quand elle voit Élham quitter son tchador noir pour son vêtement d’infirmière. Pari va rencontrer sur son chemin une mère délaissant son enfant. Défaite par son geste, la femme est prise en stop par un homme qui se révèle être un bassidji.

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À un barrage, nous découvrons le dernier personnage du film, une prostituée qui ne fait pas mystère de son métier. Tandis qu’elle attend le fourgon de police, elle voit passer la voiture d’une mariée qu’elle regarde incrédule. Elle n’a pas eu de chance, elle, et ne porte pas de voile blanc. Dans le car qui la transporte, il lui est refusé de fumer comme aux autres femmes au cours du film. Lorsqu’un détenu offre une cigarette à tous les passagers, l’interdiction semble levée. Elle peut alors s’adonner tranquillement à ce simple plaisir. C’est finalement la seule revendication du film, l’égalité entre homme et femme dans le bonheur comme dans le malheur.

Si Le Cercle semble dessiner une trajectoire implacable, Panahi parvient toutefois à donner à ses personnages une réelle épaisseur qui ne les condamne pas en dépit de leur sort malheureux.

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À la fin du film, nous sommes dans le noir en gardant en nous le désir d’une ouverture, une image qui serait moins le blanc du bien que les couleurs du tableau de Van Gogh que Narges décrit à Arezou (« l’Espoir ») comme étant la représentation de sa province, un paradis terrestre dont elle reproche au « peintre » de n’avoir su rendre toute la diversité des fleurs.

Bamchade Pourvali