Critiques — 24 septembre 2016 at 17 h 10 min

« The Hunter » (2011) de Rafi Pitts

hunter-theÀ la fois film noir et western, thriller politique et hommage au cinéma contemplatif de Sohrab Shahid Saless, The Hunter est le quatrième long métrage de Rafi Pitts. Commencé avant les élections de juin 2009, le film est contemporain des manifestations qui éclatèrent en Iran au lendemain de la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad. Les références à la campagne électorale de 2009 se retrouvent tout au long du film à travers la couleur verte mais aussi les discours du Guide Suprême entendus à la radio invitant ses compatriotes à ne pas se tromper dans leur choix. Inspiré d’une nouvelle de l’écrivain et homme politique Bozorg Alavi auquel The Hunter est dédié – le personnage interprété par Rafi Pitts porte d’ailleurs le même patronyme que celui-ci -, le film montre ce qui arrive dans une société où la confiance est rompue entre l’État et les citoyens, quand des réponses ne sont plus apportées à des questions aussi simples que : « Où est mon vote ? » ou « Qu’est-il arrivé à ma femme et à ma fille ? ». Le film résonne ainsi comme un avertissement.

hunter-rafi-pitts-The Hunter est marqué par des références américaines à l’image de la séquence d’ouverture à travers une photographie de Manoocher Deghati où des bassidjis à moto roulent sur la bannière étoilée. Cliché du début des années 80, l’image montre un rejet en même temps qu’une fascination pour l’Amérique. À plusieurs reprises, Téhéran nous apparaît comme un double de Los Angeles. On pourrait s’y méprendre, si n’étaient les discours du Guide Suprême ou le chant du muezzin appelant à la prière sur un très beau plan de voitures alignées dans la cours de l’usine où travaille Ali. La société iranienne semble, en effet, à nouveau se contempler dans un miroir américain, comme à l’époque du Shah, mais avec une morale islamique et un rejet des États-Unis dans les discours. De là, un profond malaise que montre très bien le film.

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À l’image de beaucoup d’Iraniens, Ali semble accepter sa condition. On ne connaîtra pas les raisons de son incarcération. Le personnage semble avoir divisé sa vie entre la ville et la forêt. C’est dans la nature qu’il donne libre cours à son tempérament à travers la chasse, passe-temps auquel il s’adonne seul. À l’inverse de la forêt, la ville est d’une géométrie stricte qui enferme Ali dans l’espace. On le voit souvent seul à sa fenêtre entre deux volets vides comme pour souligner déjà l’absence à venir de sa femme Sara et de sa fille Saba.

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Le seul moment heureux du film est une balade en famille lors d’une fête foraine. Mais la carabine que manient Ali et Sara semble déjà présager d’un drame à venir. Le film est construit sous forme de triptyque : avant la disparation de Sara et Seba, où la ville et la forêt sont deux espaces séparés, après leur disparition où le personnage fait éclater sa violence dans l’espace urbain comme pour se libérer d’un cadre qui lui était imposé, enfin après son acte de vengeance au terme d’une course poursuite en voiture quand le fugitif se retrouve en pleine forêt avec deux policiers à ses trousses.

the-hunter-2C’est le sentiment d’une trahison qui est à l’origine du basculement d’Ali. En effet, l’ancien détenu ne reçoit aucune réponse sur les circonstances de la disparition de sa femme et de sa fille. Il découvre le corps de Saba après avoir identifié celui de Sara. Pourquoi ce délai, la mère et la fille étaient pourtant ensemble le soir de leur disparition ? On apprendra que sa femme lui aurait menti sur sa grossesse alors qu’il était en prison. Saba serait peut-être une fille adoptive. Une société entière semble ainsi vivre sur des mensonges et des non-dits. Ali lui-même mentira à sa mère à qui il rend visite après la mort de son épouse et de son enfant.

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Le dernier acte du film prend les allures d’une fable. En pénétrant dans la forêt, The Hunter connaît un surprenant dérèglement climatique : brume, pluie, neige, givre se succèdent à l’image. De même les alliances entre Ali et les deux policiers se brouillent et se retournent sans que l’on sache si elles sont volontaires ou pas.

 the-hunter3Le policier qui passe la nuit près du feu occupe la place qui était celle d’Ali lors de ses parties de chasse. Plus tard, sous la menace de son prisonnier, il prendra sa place à l’intérieur de la cabane et lui cédera ses vêtements. « Ne regarde pas mon uniforme ! », avait dit à Ali le deuxième policier pour lui signifier qu’il était proche de lui. C’est pourtant l’uniforme que visera ce dernier. Est-ce un accident ou un piège tendu au chasseur ? On ne le saura pas et c’est toute la force du film que de laisser le spectateur libre d’interpréter cette issue tragique et sans doute inévitable.

Zur ARTE-Sendung Zeit des Zorns 6: Nachdem er als Vergeltung für den Tod seiner Frau und Tochter zwei Polizisten erschossen hat, ist Ali Alavi (Rafi Pitts) auf der Flucht vor der iranischen Staatsgewalt. © Maryam Takhtkeshian/Twenty Twenty Vision Filmproduktion GmbH Foto: ZDF Honorarfreie Verwendung nur im Zusammenhang mit genannter Sendung und bei folgender Nennung "Bild: Sendeanstalt/Copyright". Andere Verwendungen nur nach vorheriger Absprache: ARTE-Bildredaktion, Silke Wölk Tel.: +33 3 881 422 25, E-Mail: bildredaktion@arte.tv

Sous la forme d’une épure à la fois picturale et minimaliste, Rafi Pitts livre avec The Hunter l’un des constats les plus implacables sur l’état de l’Iran en 2009. Il s’agit de son dernier film tourné dans le pays.

Bamchade Pourvali